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L'Étranger, incipit


Voici une lecture analytique de l'incipit du roman philosophique d'Albert Camus, réalisée en classe de 1ère en français dans le cadre de la séquence "Le personnage de roman du XVIe siècle à nos jours"


Éléments d'introduction:

Présentation/Situation: L'Étranger est un roman philosophique qui présente le processus de quête d'identité à travers un anti-héros, Mersault. Notre extrait est l'incipit du roman, avec une focalisation interne.


Albert Camus (1913-1960): Né à Alger et mort à Paris dans un accident de voiture. Il est l'auteur du cycle de l'Absurde (1941: Le Mythe de Sisyphe, 1942: L'Étranger, 1945: Caligula), qui sont des oeuvres existentialistes. Il obtient le prix Nobel de littérature en 1957.


Lecture du texte: je vais maintenant procéder à la lecture du texte

"Aujourd’hui, maman est morte. Ou peut-être hier, je ne sais pas. J’ai reçu un télégramme de l’asile : « Mère décédée. Enterrement demain. Sentiments distingués. » Cela ne veut rien dire. C’était peut-être hier.

L’asile de vieillards est à Marengo, à quatre-vingts kilomètres d’Alger. Je prendrai l’autobus à deux heures et j’arriverai dans l’après-midi. Ainsi, je pourrai veiller et je rentrerai demain soir. J’ai demandé deux jours de congé à mon patron et il ne pouvait pas me les refuser avec une excuse pareille. Mais il n’avait pas l’air content. Je lui ai même dit : « Ce n’est pas de ma faute. » Il n’a pas répondu. J’ai pensé alors que je n’aurais pas dû lui dire cela. En somme, je n’avais pas à m’excuser. C’était plutôt à lui de me présenter ses condoléances. Mais il le fera sans doute après-demain, quand il me verra en deuil. Pour le moment, c’est un peu comme si maman n’était pas morte. Après l’enterrement, au contraire, ce sera une affaire classée et tout aura revêtu une allure plus officielle.

J’ai pris l’autobus à deux heures. Il faisait très chaud. J’ai mangé au restaurant, chez Céleste, comme d’habitude. Ils avaient tous beaucoup de peine pour moi et Céleste m’a dit : « On n’a qu’une mère. » Quand je suis parti, ils m’ont accompagné à la porte. J’étais un peu étourdi parce qu’il a fallu que je monte chez Emmanuel pour lui emprunter une cravate noire et un brassard. Il a perdu son oncle, il y a quelques mois.

J’ai couru pour ne pas manquer le départ. Cette hâte, cette course, c’est à cause de tout cela sans doute, ajouté aux cahots, à l’odeur d’essence, à la réverbération de la route et du ciel, que je me suis assoupi. J’ai dormi pendant presque tout le trajet. Et quand je me suis réveillé, j’étais tassé contre un militaire qui m’a souri et qui m’a demandé si je venais de loin. J’ai dit « oui » pour n’avoir plus à parler."


Problématique: En quoi cette présentation du personnage fait-elle de cet incipit une entrée en matière déconcertante pour le lecteur?


Plan:

I. Un incipit original

1) Un cadre spatio-temporel ambigu

2) Absence de contexte

3) Focalisation interne


II. Un récit déroutant

1) Registre de langue familier

2) Enchaînement d’actions

3) Une intrigue banale


III. Un personnage déstabilisant

1) Absences de sentiments explicites

2) Une narration en apparence objective

3) Un étranger : un anti-héros


I. Un incipit original

1) Un cadre spatio-temporel ambigu

renseignements temporels: "aujourd'hui"≠"hier"≠"demain"

→ en apparence précis mais en réalité ambigu car répétition de "peut-être".

projection dans le futur: "je prendrai l'autobus de 2h"→ envisagé ≠ "j'ai pris l'autobus de 2h"→ réalisé

=en réalité, on ne sait rien concernant l'année ni la saison, le seul repère est la mort de maman

renseignements localité: "Alger"→ ville où se déroule l'action

Quelques informations très précises: "l'asile de vieillards de Marengo", "80km d'Alger"

Autres lieux: "le restaurant"→pas de nom précisé, "l'autobus"→ classe social moyenne

=Quelques informations concrètes mais vagues


2) Absence de contexte

Situation in medias res: "Aujourd'hui, maman est morte"→présent de vérité générale

On ne connait rien du personnage: pas de nom, ni de description physique, ni de présentation + incertitudes: "je ne sais pas", "peut-être", "sans doute"→ montre les limites du personnages

= Tout commence quand sa mère meurt.


3) Focalisation interne

"maman"→ subjectif, enfantin, lien affectif de filiation, point de vue interne à l'allure d'un journal intime. On pourrait donc croire que la suite sera affective alors qu'il ne s'agit que d'une série de faits. Il évoque ses actions pour ne pas parler de ses sentiments.

=récit centré sur le personnage. Il n'y a aucun des indices que l'on attend d'un incipit.


II. Un récit déroutant

1) Registre de langue familier

Phrases courtes, style télégraphique (comme le télégramme qu'il a reçu)

Vocabulaire simple voire enfantin: "il n'avait pas l'air content", "ils avaient tous beaucoup de peine"→ naïveté

Le passé simple n'est pas utilisé, ni les subordonnées.

= récit très descriptif et informatif


2) Enchaînement d’actions

Série de verbes d'actions: "je prendrai", "je demanderai", "j'ai couru", souvent simples: "j'ai dormi", "j'ai mangé".

Les temps utilisés sont le présent, le futur simple, l'imparfait et le passé composé principalement, avec le projet et la réalisation→ avec impression de mécanisation et de répétition.


3) Une intrigue banale

La mort de la mère apparaît comme banale: "on n'a qu'une mère"→ expression toute faite, pas de réconfort.

Les actions sont décrites précisément: "Il faisait très chaud"→ il n'a aucun but, aucune quête dans la vie. Par exemple, l'action du bus prend une dimension excessive: "J'ai couru pour ne pas manquer le départ"

= il s'attarde sur des détails peu importants.


III. Un personnage déstabilisant

1) Absences de sentiments explicites

Le personnage subit les actions qu'il fait: "il a fallu"→ rituel, pas de sentiments

"ce sera une affaire classée" → conventions sociales obligatoires, semble ne rien exprimer vis-à-vis de la mort de sa mère

"ce n'est pas ma faute"→ puérilité, obligation

=Il n'exprime pas ses sentiments alors qu'il devrait.


2) Une narration en apparence objective

Il essaie de relater une série de faits mais il existe des fêlures:

"maman"→ tendresse

"un peu comme si maman n'était pas morte"→ déni, pas de projection

"J’ai couru pour ne pas manquer le départ. Cette hâte, cette course, c’est à cause de tout cela sans doute, ajouté aux cahots, à l’odeur d’essence, à la réverbération de la route et du ciel, que je me suis assoupi. "→ phrase la plus longue et la plus complexe car il exprime sa sensibilité au monde extérieur.

"réverbération de la route et du ciel"→agression de l'extérieur, indices du meurtre

importance du sommeil: "je me suis assoupi", "j'ai dormi"→ fragilité, le corps s'abandonne

=Ce personnage n'est pas aussi hermétique qu'il voudrait l'être.


3) Un étranger : un anti-héros

Personnage qui a une vie sociale (il travaille, a quelques amis) mais limitée ("asile de vieillards"→ il vit seul car sa mère est en asile)

Rencontre avec le militaire: coupe la conversation, refus de communiquer

Anti-héros: individualiste, n'exprime pas ses sentiments = on ne peut pas s'y identifier.

peu d'informations sur lui (voire pas du toute) → anormal

=Le personnage apparaît comme étranger par rapport à la société car il est en décalage avec elle, mais aussi comme étranger à lui-même car il n'exprime pas ses émotions. Le lecteur va donc se méfier de lui...


Conclusion:

-bilan I, II, III

-Réponse à la problématique: cet incipit est déconcertant de par l'écriture et le personnage qui apparaît dès le début comme un anti-héros

-ouverture: On peut comparer ce texte avec l'excipit de L'Etranger, où Mersault semble avoir retrouvé la paix avec lui-même avant son exécution.


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