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Fin de partie, scène d'exposition


Mise en scène d'Alain Françon

Voici une lecture analytique de la scène d’exposition de Fin de partie de Samuel Beckett, réalisée en classe de 1ère en français, dans le cadre de la séquence : « Le texte théâtral et sa représentation, du XVIIème siècle à nos jours ».


Introduction :

Samuel Beckett (1906-1989) : auteur irlandais mais qui écrit principalement en français, il est le chef de file de l’Absurde avec Ionesco. Ses pièces majeures sont En attendant Godot (1952) et Oh les beaux jours (1963).


Fin de Partie (1957) : pièce absurde qui présente quatre personnages aux rapports conflictuels. Nell et Nag sont un couple infirme enfermé dans une poubelle. Hamm est leur fils et Clov leur serviteur. Ils semblent seuls au monde après l’apocalypse. Cette scène est la scène d’exposition de la pièce, c’est-à-dire la 1ère scène.


Lecture :

Intérieur sans meubles.

Lumière grisâtre.

Aux murs de droite et de gauche, vers le fond, deux petites fenêtres haut perchées, rideaux fermés.

Porte à l’avant-scène à droite. Accroché au mur, près de la porte, un tableau retourné.

À l’avant-scène à gauche, recouvertes d’un vieux drap, deux poubelles l’une contre l’autre.

Au centre, recouvert d’un vieux drap, assis dans un fauteuil à roulettes, Hamm.

Immobile à côté du fauteuil, Clov le regarde. Teint très rouge.

Il va se mettre sous la fenêtre à gauche. Démarche raide et vacillante. Il regarde la fenêtre à gauche, la tête rejetée en arrière. Il tourne la tête, regarde la fenêtre à droite. Il va se mettre sous la fenêtre à droite. Il regarde la fenêtre à droite, la tête rejetée en arrière. Il tourne la tête et regarde la fenêtre à gauche. Il sort, revient aussitôt avec un escabeau, l’installe sous la fenêtre à gauche, monte dessus, tire le rideau. Il descend de l’escabeau, fait six pas vers la fenêtre à droite, retourne prendre l’escabeau, l’installe sous la fenêtre à droite, monte dessus, tire le rideau. Il descend de l’escabeau, fait trois pas vers la fenêtre à gauche, retourne prendre l’escabeau, l’installe sous la fenêtre à gauche, monte dessus, regarde par la fenêtre. Rire bref. Il descend de l’escabeau, fait un pas vers la fenêtre à droite, retourne prendre l’escabeau, l’installe sous la fenêtre à droite, monte dessus, regarde par la fenêtre. Rire bref. Il descend de l’escabeau, va vers les poubelles, retourne prendre l’escabeau, le prend, se ravise, le lâche, va aux poubelles, enlève le drap qui les recouvre, le plie soigneusement et le met sur le bras. Il soulève un couvercle, se penche et regarde dans la poubelle. Rire bref. Il rabat le couvercle. Même jeu avec l’autre poubelle. Il va vers Hamm, enlève le drap qui le recouvre, le plie soigneusement et le met sur le bras. En robe de chambre, coiffé d’une calotte en feutre, un grand mouchoir taché de sang étalé sur le visage, un sifflet pendu au cou, un plaid sur les genoux, d’épaisses chaussettes aux pieds, Hamm semble dormir. Clov le regarde. Rire bref. Il va à la porte, s’arrête, se retourne, contemple la scène, se tourne vers la salle.


CLOV (regard fixe, voix blanche). — Fini, c’est fini, ça va finir, ça va peut-être finir. (Un temps.)


Problématique : Pourquoi peut-on parler de provocation par rapport au spectateur dans cet extrait ?


Plan :

I. Un cadre spatio-temporel déroutant

1) Un décor vide

2) Une temporalité figée

3) Une mise en scène perturbante


II. Un univers de l’excès

1) Surabondance de didascalies

2) Un monde basé sur la répétition

3) Déshumanisation des personnages


III. Provocation par l’Absurde

1) Des actions absurdes

2) Des personnages énigmatiques

3) Un début : une fin


I. Un cadre spatio-temporel déroutant

1) Un décor vide

l.1: « intérieur sans meuble » → annonce d’un absence de décors + paradoxe car une maison contient des meubles…

-décor tracé : « deux petites fenêtres haut perchées » → prison, lieu inquiétant + 2nd paradoxe car normalement, les fenêtres laissent passer la lumière.

-décor détourné : « tableau retourné », « recouvert d’un vieux drap » → éléments niés, aucune information donnée

=Le spectateur est frustré par ce décor qui lui empêche de voir où se situe la pièce.


2) Une temporalité figée

« Lumière grisâtre » → oxymore, péjoratif : même la lumière est niée.

Costume de Hamm : « plaid », « épaisses chaussettes » → hiver, pas chaleureux

=L’atmosphère semble matinale car la journée commence mais la temporalité est figée car personne ne parle et on n’a aucun indice temporel précis.


3) Une mise en scène perturbante

-présence de 2 poubelles en intérieur

-allers-retours de Clov : « immobile » puis « démarche raide et vacillante » → déplacement anormal et mécanique

-présence de draps : « enlève le drap qui le recouvre » « le recouvre, le pli et le met sous le bras »

=Le spectateur ne comprend pas ce qui se passe ni ce qu’il fait. Cela ressemble à un rituel quotidien et cérémonial.


II. Un univers de l’excès

1) Surabondance de didascalies

Énormément de didascalies et pourtant peu d’informations sont délivrées, contrairement aux pièces plus classiques, comme les drames de Victor Hugo, où les didascalies sont de véritables indication scéniques sur les décors et les costumes. On ne sait pas ce qui se passe avant (action in medias res)

=Ces indications créent, paradoxalement, des confusions et des manques.


2) Un monde basé sur la répétition

Répétition des actions de Clov :

-multitude des verbes d’action : « regarde », « tourne », « va se mettre », « descend », « retourne », « installe », …

-répétition des mots : « fenêtre », « escabeau », « rideaux » → parallélisme entre la grammaire et le jeu car les actions sont opposées.

-rituel de Clov : installe l’escabeau puis tire les rideaux puis jeu avec les draps, avec la répétition de « rire bref »


3) Déshumanisation des personnages

Déshumanisation créée à partir de la mécanisation des actions non-naturelles : « démarche raide », « tête rejetée en arrière » → machine + déplacements symétriques en ligne droite → idée de rails, absence de liberté + rire→ son, il ne parle pas.

= La répétition est donc mécanique et paradoxale.


III. Provocation par l’Absurde

1) Des actions absurdes

Jeux avec la fenêtre et l’escabeau dénués de sens + rire répété 5 fois→ crée le malaise du spectateur, coupure avec le silence

Quand Clov rit, il regarde à un endroit que le spectateur ne voit pas→ frustration

Ici, la répétition ne crée pas le rire du spectateur (comme le montre Bergson) mais l’incompréhension.


2) Des personnages énigmatiques

Clov : « teint très rouge » → contraste avec le décor gris, impression de maladie ou clown. « immobile à côté du fauteuil » → attend les ordres

Personnages cachés : ils se trouvent dans des poubelles→ énigmatique et trivial

Hamm : « recouvert d’un drap » → linceul ou objet qui va s’éveiller lors du lever de rideau, « dans un fauteuil à roulettes » → handicapé + énumération de son portrait : « mouchoir taché de sang » → on ne voit pas son visage + la vue du sang ne respecte pas les règles de bienséance et évoque une blessure voire la mort. , « semble dormir » → incertitude et indéfini. Hamm est un personnage plutôt âgé et représente l’autorité.

=Tous les personnages sont énigmatiques, tant par leurs rapports que par leur description.


3) Un début : une fin

« se tourne vers la salle » → le malaise du spectateur est aggravé

« regard fixe, voix blanche » → rupture du quatrième mur car s’adresse directement au spectateur

La première réplique est une gradation descendante, qui va à l’envers de ce qu’on s’attend.

« fini » → oxymore avec le début de la pièce, renvoie au titre

« c’est fini » → qu’est-ce qui est fini ?

« ça va finir » → ce n’est encore fini

« ça va peut-être finir » → indéfini, on ne sait plus.

=Le fil conducteur de la pièce est rembobiné, cyclique


Conclusion :

-bilan I, II, III

-réponse à la problématique : Cette scène est provocatrice par rapport aux codes théâtraux traditionnels car on ignore de cadre spatio-temporel (absence d’unité de lieu et de temps) et la bienséance n’est pas respectée. Mais le spectateur se sent frustré durant cette scène car aucun indice ne lui est délivré et aussi agressé car le quatrième mur est rompu.

-ouverture : On peut comparer cette scène avec le dénouement de La cantatrice chauve d’Eugène Ionesco qui se termine aussi de manière cyclique, avec des parodies et répétitions absurdes.


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