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La Cantatrice chauve, excipit


Voici une lecture analytique de la scène 11 de La Cantatrice Chauve d’Eugène Ionesco, réalisée en classe de 1ère en français dans le cadre de la séquence : «Le texte théâtral et sa représentation, du XVIIème siècle à nos jours »


Eugène Ionesco (1909-1994): D'origine roumaine, il s'est confronté à l'apprentissage de la langue étant jeune. Il est notamment l'un des chefs de file du courant Absurde avec Beckett, qui s'oppose au théâtre bourgeois des années 1950. Ses réflexions sur le théâtre sont notamment menées dans Notes et Contre-Notes (1962).


Présentation / Situation :: La Cantatrice chauve est représentée pour la première fois en mai 1950 et est sous-titrée, Anti-pièce: cela annonce qu'elle ne respecte pas les règles traditionnelles du théâtre. Cette scène est la dernière scène de la pièce. Les personnages présents sont les deux couples Smith et Martin.


Lecture :

À la suite de cette dernière réplique de M. Smith, les autres se taisent un instant, stupéfaits. On sent qu'il y a un certain énervement. Les coups que frappe la pendule sont plus nerveux aussi. Les répliques qui suivent doivent être dites, d'abord, sur un ton glacial, hostile. L'hostilité et l’énervement iront en grandissant. À la fin de cette scène, les quatre personnages devront se trouver debout, tout près les uns des autres, criant leurs répliques, levant les poings, prêts à se jeter les uns sur les autres.


MONSIEUR MARTIN : On ne fait pas briller ses lunettes avec du cirage noir.

MADAME SMITH : Oui, mais avec l'argent on peut acheter tout ce qu'on veut.

MONSIEUR MARTIN : J'aime mieux tuer un lapin que de chanter dans le jardin.

MONSIEUR SMITH : Kakatoès, kakatoès, kakatoès, kakatoès, kakatoès, kakatoès, kakatoès, kakatoès, kakatoès, kakatoès.

MADAME SMITH : Quelle cacade, quelle cacade, quelle cacade, quelle cacade, quelle cacade, quelle cacade, quelle cacade, quelle cacade, quelle cacade.

MONSIEUR MARTIN : Quelle cascade de cacades, quelle cascade de cacades, quelle cascade de cacades, quelle cascade de cacades, quelle cascade de cacades, quelle cascade de cacades, quelle cascade de cacades, quelle cascade de cacades.

MONSIEUR SMITH : Les chiens ont des puces, les chiens ont des puces.

MADAME MARTIN : Cactus, Coccyx ! coccus ! cocardard ! cochon !

MADAME SMITH : Encaqueur, tu nous encaques.

MONSIEUR MARTIN : J'aime mieux pondre un œuf que voler un bœuf.

MADAME MARTIN, ouvrant tout grand la bouche : Ah ! oh ! ah ! oh ! laissez-moi grincer des dents.

MONSIEUR SMITH : Caïman !

MONSIEUR MARTIN : Allons gifler Ulysse.

MONSIEUR SMITH : Je m'en vais habiter ma Cagna dans mes cacaoyers.

MADAME MARTIN : Les cacaoyers des cacaoyères donnent pas des cacahuètes, donnent du cacao ! Les cacaoyers des cacaoyères donnent pas des cacahuètes, donnent du cacao ! Les cacaoyers des cacaoyères donnent pas des cacahuètes, donnent du cacao.

MADAME SMITH : Les souris ont des sourcils, les sourcils n'ont pas de souris.

MADAME MARTIN : Touche pas ma babouche !

MONSIEUR MARTIN : Bouge pas la babouche !

MONSIEUR SMITH : Touche la mouche, mouche pas la touche.

MADAME MARTIN : La mouche bouge.

MADAME SMITH : Mouche ta bouche.

MONSIEUR MARTIN : Mouche le chasse-mouche, mouche le chasse-mouche.

MONSIEUR SMITH : Escarmoucheur escarmouché !

MADAME MARTIN : Scaramouche !

MADAME SMITH : Sainte-Nitouche !

MONSIEUR MARTIN : T'en as une couche !

MONSIEUR SMITH : Tu m'embouches.

MADAME MARTIN : Sainte Nitouche touche ma cartouche.

MADAME SMITH : N'y touchez pas, elle est brisée.

MONSIEUR MARTIN : Sully !

MONSIEUR SMITH : Prudhomme !

MONSIEUR MARTIN, MONSIEUR SMITH : François.

MADAME SMITH, MONSIEUR MARTIN : Coppée.

MADAME MARTIN, MONSIEUR SMITH : Coppée Sully !

MADAME SMITH, MONSIEUR MARTIN : Prudhomme François.

MADAME MARTIN : Espèces de glouglouteurs, espèces de glouglouteuses.

MONSIEUR MARTIN : Mariette, cul de marmite !

MADAME SMITH : Khrishnamourti, Khrishnamourti, Khrishnamourti.

MONSIEUR SMITH : Le pape dérape ! Le pape n'a pas de soupape. La soupape a un pape.

MADAME MARTIN : Bazar, Balzac, Bazaine !

MONSIEUR MARTIN : Bizarre, beaux-arts, baisers !

MONSIEUR SMITH : A, e, i, o, u, a, e, i, o, u, a, e, i, o, u, i !

MADAME MARTIN : B, c, d, f, g, l, m, n, p, r, s, t, v, w, x, z !

MONSIEUR MARTIN : De l'ail à l'eau, du lait à l'ail !

MADAME SMITH, imitant le train : Teuff, teuff, teuff, teuff, teuff, teuff, teuff, teuff, teuff, teuff, teuf !

MONSIEUR SMITH : C'est !

MADAME MARTIN : Pas !

MONSIEUR MARTIN : Par !

MADAME SMITH : Là !

MONSIEUR SMITH : C'est !

MADAME MARTIN : Par !

MONSIEUR MARTIN : I !

MADAME SMITH : Ci !


Tous ensemble, au comble de la fureur, hurlent les uns aux oreilles des autres. La lumière s'est éteinte. Dans l'obscurité on entend sur un rythme de plus en plus rapide :


TOUS ENSEMBLE : C'est pas par là, c'est par ici, c'est pas par là, c'est par ici, c'est pas par là, c'est par ici, c'est pas par là, c'est par ici, c'est pas par là, c'est par ici, c'est pas par là, c'est par ici !


Les paroles cessent brusquement. De nouveau, lumière. M. et Mme Martin sont assis comme les Smith au début de la pièce. La pièce recommence avec les Martin, qui disent exactement les répliques des Smith dans la première scène, tandis que le rideau se ferme doucement.


Problématique : En quoi ce dénouement est-il absurde ?


Plan :

I. Le rôle du langage

1) L’enchaînement des répliques

2) Jeu phonétique

3) La vacuité du langage


II. Un dénouement absurde

1) Présence de personnages vides

2) Dénouement de l’intrigue : un leurre

3) Une fin cyclique


III. Une anti-pièce

1) Un texte parodique

2) Une scène comique

3) Dénonciation par l’absurde


I. Le rôle du langage

1) L’enchaînement des répliques

La didascalie énonce les éléments techniques :

champ lexical de la tension : « énervement », « nerveux », « ton glacial, hostile », « criant » → l’énervement va crescendo, l’agressivité monte.

Au début, les répliques sont des aphorismes transformés, tandis qu’à la fin, les répliques ne sont plus que des stichomythies → enchaînement des mots et répliques.


2) Jeu phonétique

« kakatoès », « quelle cacade », « quelle cascade de cacade » → allitération en [k] et en [a], poursuivi avec « cactus », « coccyx »

=marque l’agressivité.

« Touche pas ma babouche » → allitération en [ch], reprise de mots à sonorités équivoques (« mouche », « bouge », « bouche », …)

« Ah ! Oh ! » → interjections

« a, e, i, o, u » → voyelles

“B, c, d, f, g, l, m, n, p, r, s, t, v, w, x, z” → consonnes

=beaucoup de jeux sur les sonorités.


3) La vacuité du langage

Scène sans thème : les personnages ne discutent pas mais interagissent. Ils effectuent aussi des parodies de proverbes : « J'aime mieux pondre un œuf que voler un bœuf. » au lieu de « Qui vole un œuf, vole un bœuf », sauf que ça n’a plus de sens.


=détournement du sens. Mais ce qui donne un sens à la scène, c’est l’intention de jeu.


II. Un dénouement absurde

1) Présence de personnages vides

Les couples ne fonctionnent plus entre eux car Mme Smith s’adresse à M. Martin et inversement→ déstructuration des couples.

=Les personnages sont déshumanisés qui finissent par ne produire que des sons : « teuf teuf teuf ». Ils semblent être atteints d’une pathologie qui correspond à la perte du langage puis de la communication.


2) Dénouement de l’intrigue : un leurre

Il n’y a pas d’intrigue au départ, donc il ne peut pas y avoir de dénouement. Les personnages finissent par se réunir autour d’une seule phrase : « C’est pas par là c’est par ici ! »

« La lumière s’est éteinte » → anormal car les paroles continuent

« Les paroles cessent brusquement » → rien de terminé malgré le silence


3) Une fin cyclique

« De nouveau lumière » → tout recommence

« M et Mme Martin sont assis comme les Smith au début de la pièce » → encore une fois, c’est anormal.

« La pièce recommence » → cycle : on retombe dans les mêmes travers, les personnages sont interchangeables car ils n’ont pas de personnalité =ABSURDE

« Le rideau se ferme » → fin de la pièce alors que tout recommence.


III. Une anti-pièce

1) Un texte parodique

-Parodie d’une méthode d’apprentissage : la méthode Assimil

-parodie d’aphorismes : « J’aime mieux tuer un lapin que chanter dans le jardin » → sonne comme un proverbe car présence de rimes mais aucun sens.

-parodie des personnages de théâtre et se moque des acteurs avec des répliques très difficiles à prononcer (« Mouche le chasse-mouche »)

-parodie des dénouements traditionnels : aucune règle n’est respectée

=correspond bien à une anti-pièce car il s’agit d’une parodie d’une pièce de théâtre.


2) Une scène comique

On retrouve tous les comiques :

-situation : pas de communication, agressivité

-mots : pas de sens, ni de conversation, jeu sur les sonorités

-répétition : selon Bergson, le rire provient de la répétition. Ici, ce sont les sonorités et les mots qui se répètent

-caractère : les personnages n’en ont plus, ils sont creux.

-geste : « hurlent les uns aux oreilles des autres », « levant les poings », « criant leurs répliques » →travail de mise en scène

=La scène devient comique par l’incompréhension et la déstabilisation du spectateur.


3) Dénonciation par l’absurde

Après la Seconde guerre mondiale, certains auteurs et artistes expriment leur perte de confiance dans la condition humaine. En particulier, le mouvement de l’absurde, porté principalement par Ionesco et Beckett au théâtre, exacerbent la catharsis pour montrer que la tentative de reconstruction après toutes les horreurs de la guerre est une illusion car l’homme ne peut communiquer.


Conclusion :

-bilan I, II, III

-réponse à la problématique : ce dénouement est absurde par les thèmes abordés, le langage, la mise en scène qui conduisent au non-sens

-ouverture : On pourrait comparer cette scène avec une autres scène absurde, qui est l’incipit de Fin de Partie de Beckett, qui reprennent les mêmes thématiques absurdes. Dans cette scène d’exposition, on retrouve trois pages de didascalies avant que le personnage ne parle et annonce : « c’est fini » On retrouve donc bien une idée de cycle, comme dans ce dénouement.


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