Tentative de description d'un dîner de têtes à Paris-France, fin
Voici une lecture analytique de la fin du poème de Jacques Prévert "Tentative de description d'un dîner de têtes à Paris-France", réalisée en classe de 1ère en français dans le cadre de la séquence "Écriture poétique et quête du sens, du Moyen Âge à nos jours"
Introduction:
Jacques Prévert (1900-1977): écrivain et cinéaste français, il a fréquenté le groupe surréaliste mais il a pris ses distances. Il s'engage notamment dans les luttes contre les inégalités sociales et soutient les ouvriers en grève. Son recueil de poèmes Paroles, publié en 1946 mais écrit en 1931, se rapporte à des scènes du quotidien.
Situation: "Tentative de description d'un dîner de têtes à Paris-France" est un très long poème, le premier du recueil, qui alterne vers et prose. Il s'agit d'un texte contestataire, satirique et polémique par l'Absurde, mais aussi humoristique car Prévert réalise une parodie d'un dîner officiel à l'Élysée. Notre extrait correspond à la fin du poème, où on retrouve une écriture en vers.
Lecture:
1 Le soleil brille pour tout le monde, il ne brille pas dans les prisons, il ne brille pas pour ceux qui travaillent dans la mine,
ceux qui écaillent le poisson
ceux qui mangent la mauvaise viande
ceux qui fabriquent les épingles à cheveux
5 ceux qui soufflent vides les bouteilles que d'autres boiront pleines
ceux qui coupent le pain avec leur couteau
ceux qui passent leurs vacances dans les usines
ceux qui ne savent pas ce qu'il faut dire
ceux qui traient les vaches et ne boivent pas le lait
10 ceux qu'on n'endort pas chez le dentiste
ceux qui crachent leurs poumons dans le métro
ceux qui fabriquent dans les caves les stylos avec lesquels d'autres écriront en plein air que tout va pour le mieux
ceux qui en ont trop à dire pour pouvoir le dire
ceux qui ont du travail
15 ceux qui n'en ont pas
ceux qui en cherchent
ceux qui n'en cherchent pas
ceux qui donnent à boire aux chevaux
ceux qui regardent leur chien mourir
20 ceux qui ont le pain quotidien relativement hebdomadaire
ceux qui l'hiver se chauffent dans les églises
ceux que le suisse envoie se chauffer dehors
ceux qui croupissent
ceux qui voudraient manger pour vivre
25 ceux qui voyagent sous les roues
ceux qui regardent la Seine couler
ceux qu'on engage, qu'on remercie, qu'on augmente, qu'on diminue, qu'on manipule, qu'on fouille, qu'on assomme
ceux dont on prend les empreintes
ceux qu'on fait sortir des rangs au hasard et qu'on fusille
30 ceux qu'on fait défiler devant l'Arc
ceux qui ne savent pas se tenir dans le monde entier
ceux qui n'ont jamais vu la mer
ceux qui sentent le lin parce qu'ils travaillent le lin
ceux qui n'ont pas l'eau courante
35 ceux qui sont voués au bleu horizon
ceux qui jettent le sel sur la neige moyennant un salaire absolument dérisoire
ceux qui vieillissent plus vite que les autres
ceux qui ne se sont pas baissés pour ramasser l'épingle
ceux qui crèvent d'ennui le dimanche après-midi parce
40 qu'ils voient venir le lundi
et le mardi, et le mercredi, et le jeudi, et le vendredi,
et le samedi
et le dimanche après-midi.
Problématique: Comment Prévert se fait-il le porte-parole des classes populaires dans ce poème?
Plan:
I.Création d’un sentiment d’empathie pour le lecteur
1) Valeurs de l’antithèse et de l’anaphore
2) Dénonciation de la misère
3) Dénonciation de l’injustice
II.Valorisation des classes populaires
1) Le monde du travail
2) Des cas particuliers à la généralisation
3) La fatalité
I.Création d’un sentiment d’empathie pour le lecteur
1) Valeurs de l’antithèse et de l’anaphore
v.1: "il brille pour tout le monde"→ généralisation
"il ne brille pas"→antithèse, juxtaposition
"dans les prisons"→concret car enfermement donc absence de luminosité
v.2: "ceux qui"→déictique, anaphore, énumération de toutes les catégories populaires, qui font exception à la règle "le soleil brille pour tout le monde".
v.39-42: présence d'une nouvelle anaphore en "et le + jour de la semaine"→ effet d'accumulation, comme le travail imposé à ces classes populaires.
=Forme originale qui donne un sens au texte.
2) Dénonciation de la misère
-famine:
v.3: "mauvaise viande"
v.20: "pain quotidien relativement hebdomadaire"→référence biblique, adverbe qui accentue le dénuement.
v.24: "manger pour vivre"→ référence à Molière
-sans logement:
v.21: "chauffent dans les églises" ≠ v.22: "se chauffer dehors"→antithèse, même l'Église chasse les pauvres.
v.25: "voyagent sous les roues"→clandestins
-pauvreté:
v.10: "ceux qu'on n'endort pas chez le dentiste"→souffrance physique pour des soins primaires, maladie.
v.11: "ceux qui crachent leurs poumons"→n'ont même pas les moyens de se soigner
v.37: "ceux qui vieillissent plus vite que les autres"→ comparatif de supériorité, usure suite au travail
=La misère apparaît du début à la fin et semble rejetée par les autres au lieu d'être accueillie.
3) Dénonciation de l’injustice
Décalage entre les actions du peuple et ce qui lui revient:
v.5: "ceux qui soufflent vides les bouteilles que d'autres boiront pleines", v.9: "ceux qui traient les vaches et ne boivent pas le lait", v.12: "ceux qui fabriquent dans les caves les stylos avec lesquels d'autres écriront en plein air que tout va pour le mieux", v.33: "ceux qui sentent le lin parce qu'ils travaillent le lin"→antithèse entre travailleurs et consommateurs
v.27: "ceux qu'on engage, qu'on remercie, qu'on augmente, qu'on diminue, qu'on manipule, qu'on fouille, qu'on assomme"→ accumulation de verbes dénonçant le salariat "manipule", "assomme".
v.28: "ceux qu'on fait sortir des rangs au hasard et qu'on fusille"→ fusillés pour l'exemple (très pratiqué pendant la guerre de 14-18)
=Les pauvres sont non seulement démunis, mais ils sont aussi manipulés par le "on" indéfini qui englobe tous les responsables.
II.Valorisation des classes populaires
1) Le monde du travail
Évocation récurrente du monde du travail:
v.1: "mines"
v.2: "poisson"→marché
champ lexical de la fabrication: "fabriquent", "écaillent", "soufflent", "traient"
v.14-17: "ceux qui ont du travail/ceux qui n'en ont pas/ceux qui en cherchent/ceux qui n'en cherchent pas"→opposition, antithèse
Le travail est considéré comme de l'esclavagisme, l'absence de travail est synonyme de pauvreté, chercher du travail est compliqué parce qu'il n'y en a plus et ne plus chercher de travail est lié au désespoir.
=évocation de toutes les classes de travailleurs.
2) Des cas particuliers à la généralisation
Prévert présente des groupes d'individus symboles par rapport à leur situation:
-travail→ex v.4: "ceux qui fabriquent des épingles"
-situation de vie→ ex v.19: "ceux qui regardent leur chien mourir"
-action→ ex v.26: "ceux qui regardent la Seine couler" (SDF sous les ponts ou homme qui regarde le temps s'écouler sans pouvoir rien faire.)
-victimes de différents groupes:
politique: v.28: "ceux dont on prend les empreintes"→ soupçonnés, premiers suspects
armée: v.30: "ceux qu'on fait défiler devant l'Arc" et v.35: "ceux qui sont voués au bleu horizon"
église: v.20-21: "ceux qui l'hiver se chauffent dans les églises/ ceux que le suisse envoie se chauffer dehors"
=Ces groupes reconstituent toue la classe populaire de cette époque.
3) La fatalité
v.38-42: accumulation des jours de la semaine→ ils ne peuvent même plus se reposer parce qu'ils pensent à la semaine qui va suivre. Cette phrase sans fin avec la conjonction de coordination "et" nous évoque un fardeau inévitable avec une fin cyclique.
Conclusion:
-bilan I, II, III
-réponse à la problématique: Prévert est un porte-parole efficace car il se fait le défenseur des classes populaires et des failles de la société en général en créant un poème à la forme originale.
-ouverture: Nous pouvons comparer ce poème avec un autre de Prévert "La grasse matinée" qui évoque également la pauvreté des classes populaires mais, cette fois-ci, à travers un fait-divers.
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